Il y a un certain temps déjà, j'avais entamé un projet d'écriture au titre étrange de Corporataire. Ce signifiant inexistant était apparu sous ma plume inopinément. Mon inconscient facétieux avait fait bloc d'une chaîne sonore, bourdonnante et furieuse, qui avait envahi mon esprit, corps, corporation, pot de terre, pot à taire. Il soulevait le voile opaque qui recouvrait bien sagement le mal qui me rongeait ; il mettait en exergue cet orifice maudit situé au bas de mon visage qui devait me permettre de parler, de manger.
Cet écrit donc se présentait sous la forme d'un répertoire dans lequel je donnais une définition ou une courte phrase, chargées de résonances, sur différents mots entourant le corps, à la manière de Michel Leiris dans Langage Tangage. Voici ce que j'avais écrit autour de la bouche :
BOUCHE, Mon louche dégoût
AMUSE BOUCHE (L’) _ Voeu de La Muse Bouche
AMUSE GUEULE _ Gourmande envie de la voix
Il me faudrait développer mais le sujet m'écoeure vite ; J'arrête donc là pour aujourd'hui.
L'empêchée des goûts de la bouche
Une petite fable pour finir sur un amuse-bouche _Je sais, je présente le repas dans le désordre mais comprenez qu'il est hors de question que l'on m'impose de suivre vos règles alimentaires !
La chipoteuse et le goûteur
Conviés au banquet d’une ogresse _ de l’hôte, je n’en suis pas très sûre _ un goûteur et une chipoteuse se donnent rendez-vous au croisement d’une voie, pour s’y rendre de concert.
Sitôt qu'ils sont arrivés, le goûteur s’attable et entame un Alors ?!, sorte de mille sabords de mille saveurs. En bouche avisée et professionnelle aussi, il hume, se délecte des vivres posées là et part l’eau en bouche autour de la table. Il cherche, patient, au corps de chaque plat, ce qui va le dire croquant, croustillant, savoureux, piquant, surprenant, mordant. Il traque la fantaisie, la nouveauté ou l’ancien renouvelé.
La chipoteuse, elle, fait la fine bouche. Elle regarde par le menu l’inventaire de ces aliments sonores : anguilles à la diable, aumônières surprises, bouchées de boudin blanc, boulettes de purée gratinées, brochettes terre et mer aux trois saveurs, chou farci truffé, fricassée de la mer, mioche aux navets, oursins en cocotte, monnaies du pape, pain perdu, pet de nonnes, queues de lotte, salade de lardons, sacristains aux noisettes, travers de porc à l’aigre-doux…
Les mets se débobinent ; nul amuse-bouche qui ne la fasse saliver ; elle prend racine.
Midi sonne la fin du festin. Le goûteur au palais enchanté et la chipoteuse au corps vide se quittent.
Mor(t)alité :
[….]
Je n’articule rien, mais en tête un avertissement, hors sujet, s’imprime en caractères gras :
Chercher des titres de recettes provoque la nausée.